« Dieu l’a bénie et l’a sauvée », Samuel HAHNEMANN
Naissance de l'homéopathie et Samuel Hahnemann dans les souvenirs d'Ernest Legouvé.
Hahnemann sauve la fille d’Ernest Legouvé:
« Samuel Hahnemann est un des grands novateurs du dix neuvième siècle. Il a commencé, vers 1835, une révolution médicale qui dure encore. Je ne discute pas le système, je constate le fait.
Un hasard, que je ne saurais assez bénir, me mit en rapport avec lui, au moment où sa réputation devenait de la gloire : j’y fus peut-être pour quelque chose, et le récit des relations étroites qui se formèrent entre nous, aidera à faire connaître cet homme extraordinaire et supérieur.
Ma fille, âgée de quatre ans, était mourante ; notre médecin, médecin de l’Hôtel-dieu, le docteur R…, avait déclaré le matin à un de nos amis qu’elle était irrémédiablement perdue.
Nous veillions, sa mère et moi, pour la dernière fois peut-être, auprès de son berceau ; Schoelcher et Goubaux veillaient avec nous, et dans la chambre se trouvait aussi un jeune homme, en toilette de bal, que nous ne connaissions pas trois heures auparavant, un des élèves les plus distingués de M. Ingres, Amaury Duval.
Nous avions désiré conserver au moins un souvenir de la chère petite créature que nous pleurions déjà, et Amaury, pressé par Schoelcher qui avait été le chercher au milieu d’une soirée, avait consenti à venir faire ce douloureux portrait.
Quand le cher et charmant artiste (il avait alors vingt-neuf ans), tomba, tout troublé et tout ému, au milieu de nos désespoirs, nous ne nous doutions guère, ni lui non plus, que quelques heures plus tard il nous rendrait le plus immense service que nous ayons jamais reçu, et que nous lui devrions bien plus que l’image de notre fille, sa vie.
Il installa au pied du berceau, sur un petit meuble très élevé, une lampe dont la clarté tombait sur le visage de l’enfant.
Ses yeux étaient déjà fermés, son corps ne faisait plus aucun mouvement ; ses cheveux épars flottaient autour de son front, et l’oreiller sur lequel reposait sa tête n’était pas d’une blancheur plus mate que ses joues et sa petite main ; mais l’enfance a en soi un tel charme que la mort prochaine n’était, ce semble, qu’une grâce de plus sur sa figure.
Amaury employa la nuit à la dessiner, tout en essuyant bien souvent ses yeux, le pauvre garçon, pour empêcher ses larmes de tomber sur son papier.
Au matin, le portrait était achevé ; sous le coup de l’émotion, il avait fait un chef-d’œuvre.
Au moment de nous quitter, au milieu de tous nos remerciements et de nos attendrissements, il nous dit tout à coup :
« Mais enfin, puisque votre médecin déclare votre enfant perdue, pourquoi ne vous adressez-vous pas à cette médecine nouvelle qui commence à faire tant de bruit dans Paris ; pourquoi n’iriez-vous pas trouver Hahnemann ? »
– Il a raison ! s’écria Goubaux, Hahnemann est mon voisin. Il demeure rue de Milan, en face de mon institution. je ne le connais pas. Mais qu’importe ! J’y vais ! et je vous le ramène!
ll arrive, il trouve vingt personnes dans l’antichambre. Le domestique lui explique qu’il doit attendre son tour.
« Attendre ! » - s’écrie Goubaux. La fille de mon ami se meurt ! Il faut que le docteur vienne avec moi!
« Mais, monsieur », s’écrie le domestique…
-Oui ! je comprends, je comprends, je suis le dernier. Qu’importe !
« Les derniers seront les premiers, a dit l’Évangile ; puis, se retournant vers les assistants : N’est-ce pas, Mesdames ? N’est-ce pas que j’ai raison ? N’est-ce pas que vous voulez bien me donner votre place ? »
Et sans attendre de réponse, il alla droit à la porte du cabinet du docteur, l’ouvrit, et tombant au milieu d’une consultation :
« Docteur, dit-il à Hahnemann, ce que je fais là est contraire à toutes les règles ; mais il faut que vous quittiez tout pour venir avec moi ! Il s’agit d’une charmante petite fille de quatre ans, qui meurt si vous ne venez pas ».
Vous ne pouvez pas la laisser mourir… C’est impossible ».
Et son invincible charme opérant comme toujours, une heure après, Hahnemann et sa femme arrivaient avec lui dans la chambre de notre malade.
Au milieu de tous les troubles de ma pauvre tête affolée de douleur et d’insomnie, je crus voir entrer un personnage des contes fantastiques d’Hoffmann.
Petit de taille, mais robuste et assuré de démarche, il s’avança enveloppé dans une pelisse de fourrure et appuyé sur une forte canne à pomme d’or.
Il avait près de quatre-vingts ans, une tête admirable, des cheveux blancs et soyeux, rejetés en arrière et soigneusement bouclés autour de son cou ; des yeux d’un bleu profond au centre, avec un cercle presque blanc tout autour de la prunelle ; une bouche impérieuse, la lèvre inférieure avancée ; un nez d’aigle.
En entrant, il alla droit au berceau, jeta un coup d’œil perçant sur l’enfant, et se fit donner des détails sur la maladie, sans ,jamais cesser de la regarder.
Puis ses joues s’empourprèrent, les veines de son front se gonflèrent, et il s’écria, avec un accent de colère :
« Jetez moi par la fenêtre toutes ces drogues toutes ces fioles que je vois là !
Enlevez ce berceau de cette chambre !
Changez-la de draps, d’oreillers, et donnez lui à boire de l’eau tant qu’elle voudra.
Ils lui ont jeté un brasier dans le corps !
Il faut d’abord éteindre le feu ! Nous verrons après ».
Nous lui fîmes l’observation que ce changement de température, de linge, pouvait lui être bien dangereux.« Ce qui lui est mortel, répliqua t-il avec impatience, c’est cette atmosphère et ces drogues !
Transportez-la dans le salon, je reviendrai ce soir. Et surtout de l’eau, de l’eau, de l’eau ! »Il revint le soir, il revint le lendemain, et commença ses médicaments, se contentant de dire à chaque fois :
« Encore un jour de gagné ! »
Le dixième jour, le péril redevint tout à coup imminent. Le froid gagna les genoux. Il arriva a huit heures du soir et resta un quart d’heure près du lit, comme un homme en proie à une grande anxiété.
Enfin, après avoir consulté sa femme qui l’accompagnait toujours, il nous donna un médicament en nous disant « Faites lui prendre cela, et remarquez bien si, d’ici à une heure, le pouls remonte ».
A onze heures, je lui tenais le bras, quand soudain il me sembla sentir une légère modification dans le battement ; j’appelai ma femme, j’appelai Goubaux, Schoelcher.
Et nous voilà tâtant le bras l’un après l’autre, interrogeant la montre, comptant les pulsations, n’osant pas affirmer, n’osant pas nous réjouir, jusqu’à ce qu’au bout de quelques minutes, nous nous embrassâmes tous les quatre ; le pouls avait remonté.
Vers minuit, entra dans la chambre Chrétien Urhan. Il vint vers moi, et avec un ton de profonde conviction, il me dit :
« Mon cher Legouvé, votre fille est sauvée ».
Elle va un peu mieux, lui répondis-je tout troublé, mais de là à la guérison…
« Je vous dit qu’elle est sauvée » ; puis, s’approchant du berceau, où je veillais seul, il baisa l’enfant sur le front et partit.
Huit jours après, la malade entrait en convalescence.
Cette guérison fut un événement dans Paris, presque une sorte de scandale ! Mon nom n’était pas celui d’un inconnu ; on cria au miracle, à la résurrection !
Tout le corps médical entra dans une irritation violente ; le pauvre Docteur R… fut pris à partie par tous ses confrères ; les discussions les plus vives éclatèrent dans le monde et à la Faculté. Un médecin dit tout haut dans le salon de M. de Jouy : "Je regrette beaucoup que cette petite fille ne soit pas morte ! "
La plupart répétaient : « Ce n’est pas le charlatan qui l’a guérie, c’est la nature. Il n’a fait, lui, qu’hériter du traitement allopathique.»
A quoi je répondais ce que je réponds encore : « Que m’importe qu’il ait été la cause ou l’occasion ? Que m’importe qu’elle ait été sauvée par ses mains ou entre ses mains ? Était-elle perdue quand il est entré dans ma maison ? Oui. Était-elle guérie quand il l’a quittée ? Oui. Je n’ai pas besoin d’en savoir davantage pour lui conserver une éternelle reconnaissance. »
Mon infidélité à sa doctrine ne me rend pas infidèle à sa mémoire, et il reste pour moi une des natures les plus puissantes que j’aie rencontrées.
La façon même dont il conçut sa doctrine le peint d’un trait. Fut-ce de sa part calcul, intérêt ? Désir de renommée ? Conception purement scientifique ? Non.
C’est de son cœur que sortit son système. Médecin de premier ordre, à la tête d’une des plus riches clientèles de l’Allemagne, il réclama un jour le conseil d’un de ses confrères, pour son dernier enfant malade.
Le cas était grave, les remèdes ordonnés furent énergiques, violents, douloureux : moxas, ventouses, saignées. Tout à coup, après une nuit de souffrance de l’enfant, Hahnemann saisi de pitié, d’horreur, s’écria :
« Non ! ce n’est pas possible ! Non ! Dieu n’a pas créé ces chers petits êtres pour que nous les soumettions à de pareilles tortures ! Non ! Je ne veux pas être le bourreau de mes enfants. »
Alors, aidé par ses longues et profondes études de chimie, il se lança à la recherche d’une médecine nouvelle, et construisit de toutes pièces ce système médical, dont l’amour paternel avait été comme le fondement.
Voilà l’homme. Tel il fut alors, tel il était toujours.
La forte structure de son visage, ses mâchoires carrées, la palpitation presque continue de ses narines, le frémissement de ses coins de bouche, abaissés par l’âge; tout en lui respirait la conviction, la passion, l’autorité.
Son langage était original comme sa personne. « Pourquoi, lui disais-je un jour, prescrivez-vous, même en bonne santé, l’usage permanent de l’eau ? »
« A quoi bon quand on est ingambe, me répondit-il, les béquilles du vin ? »
C’est encore dans sa bouche que j’ai entendu ce mot étrange si on le prenait dans le sens absolu, mais bien profond pour qui le comprend :
« Il n’y a pas de maladies, il y a des malades. »
Sa foi religieuse n’était pas moins vive que sa foi médicale. J’en eus deux preuves frappantes.
Un jour de printemps, j’arrivai chez lui, en lui disant : « Oh ! monsieur Hahnemann, comme il fait beau aujourd’hui ! »
« Il fait toujours beau » , me répondit-il d’une voix calme et grave.
Comme Marc Aurèle, il vivait au sein de l’harmonie générale. Ma fille guérie, je lui montrai le délicieux dessin d’Amaury Duval. Il contempla longtemps et avec émotion cette image qui lui rendait sa petite ressuscitée, telle qu’il l’avait vue la première fois, quand elle était déjà si avancée dans la mort, puis il me demanda une plume et écrivit au bas :
« Dieu l’a bénie et l’a sauvée ».
Samuel HAHNEMANN
Souvenirs de l’académicien Ernest Legouvé.