Comment devenir homéopathe
Interview d’André Saine, N.D., F.C.A.H.
Deuxième Partie
De nos jours, vous risquez plus d’être induit en erreur que guidé car il n’y a pas aujourd’hui de grand maître de la Matière Médicale. Il y a beaucoup d’enseignants qui se prétendent “maîtres”, ils sont souvent suivis d’un grand nombre de disciples, mais la plupart du temps, il s’agit d’un aveugle qui conduit d’autres aveugles.
André Saine est diplômé du National College of Naturopathic Medicine à Portland, Oregon et aussi de l’Homeopathic academy of Naturopathic Physicians. Il enseigne l’Homéopathie et fait des conférences depuis 1985. Un des points principaux de son travail clinique est le traitement de patients souffrant de maladies chroniques graves. A côté de sa pratique à Montréal, Canada, il est le Doyen et le principal enseignant de la formation postuniversitaire de la Canadian Academy of Homeopathy depuis 1986.
Q: Quels sont les meilleurs ouvrages de matière médicale pour un débutant ?
A.S.: C’est une question difficile à répondre car la matière médicale est très vaste. Il y a deux éléments dans votre question à envisager. Le premier point se rapporte à la qualité et le second à l’accessibilité de l’ouvrage. Pour les débutants, le critère le plus important témoignant de la qualité d’une matière médicale est la fiabilité de l’auteur. Les meilleurs ouvrages de Matière Médicale ne sont pas forcément facilement accessibles au débutant. Si je disais à un débutant de commencer avec Hahnemann sans autre information, je ne lui donnerais pas un très bon conseil. Bien sûr, pour ce qui est de la fiabilité, Hahnemann est de loin le meilleur mais il y a un grand risque pour le débutant d’être submergé par l’énorme quantité de livres écrits par Hahnemann sur la matière médicale. Prenons par exemple Sulphur, dans les Maladies Chroniques d’Hahnemann. Cela fait plus de 1900 symptômes. Sans plus ample information sur la façon d’utiliser ces livres, le débutant peut se sentir désespéré. Il ne faut pas seulement conseiller un livre à l’étudiant – il faut aussi lui apprendre comment s’en servir. Il doit apprendre comment étudier et se servir des Maladies Chroniques d’Hahnemann, des Guiding Symptoms de Hering or de l’Encyclopédie de la Matière Médicale Pure de Allen. Il faudrait qu’il sache comment ses livres ont été écrits et comment on doit s’en servir.
Pour revenir à votre question : pour quelqu’un qui n’a jamais étudié la matière médicale, qui n’y connaît rien et qui désire commencer, je conseillerais en premier lieu les Leaders de Nash, qui constituent une introduction agréable et amusante à la matière médicale. Un autre ouvrage dans la même optique serait les Portraits de Remèdes Homéopathiques de Margaret Tyler. C’est simple, fiable, rempli d’anecdotes intéressantes et contenant beaucoup de citations d’auteurs dignes de foi : Hahnemann, Lippe, Hering, Nash, Kent, etc. ; c’est une approche simplifiée de notre vaste matière médicale. De même, je pourrais aussi conseiller deux autres livres dans lesquels les auteurs se sont servis d’expressions de langage plus modernes, ce sont les Etudes de Remèdes Homéopathiques de Gibson et Homéopathie et Prescription Homéopathique d’Harvey Farrington. Ce sont ces quatre livres que je conseillerais au débutant car ils sont accessibles et fiables. Ensuite, pour progresser plus avant, on devra dire à l’étudiant sérieux en Homéopathie comment utiliser les livres fondamentaux.
Q: De nombreux homéopathes ont essayé d’organiser et de résumer les symptômes de certains remèdes afin de les rendre plus faciles à comprendre. Quel est votre avis sur de telles “portraits de remèdes”?
A.S.: Hé bien, il y a là un certain danger et il faut être très prudent. Si vous avez un portrait d’un remède, il y a toujours le danger de ne prendre qu’un aspect du remède et de généraliser en disant “C’est le remède.” Ou vous pouvez vous tromper complètement dans votre portrait et donc être éloigné de la réalité. Lorsque quelqu’un vous dit : “C’est la nature du remède, c’est le portrait de ce remède” – prenez-le avec un peu de prudence. Il se peut que cela soit totalement infondé et que cela détourne du droit chemin l’étudiant pendant des années. Il y a grand danger à généraliser. Sauf si celui qui fait cette généralisation la fonde sur une étude rigoureuse des provings complétée par une expérience clinique importante. Je n’ai rien contre Hahnemann lorsqu’il dit de ne pas prescrire Nux vomica si le patient est doux et flegmatique ou Aconitum si le patient est calme et tranquille, aussi longtemps que l’étudiant comprend de façon claire qu’il y a des exceptions à ces généralisations. Ces généralisations représentant la nature du remède ou l’état du patient nécessitant ce remède, sont en général, très utiles pour le débutant pour l’aider à percevoir le remède avec plus de facilité. Malheureusement, tous ceux qui enseignent la matière médicale et qui généralisent n’ont pas fait une étude attentive des provings, ne sont pas des observateurs fiables et n’ont pas une importante expérience clinique. Le danger de faire de fausses interprétations et de créer de fausses images est très grand. Ces généralisations ne sont pas un gros problème tant que l’étudiant comprend qu’une étude soigneuse du proving est toujours la meilleure façon de procéder et qu’elle aura toujours le dernier mot permettant de décider du degré de similitude – et non l’opinion de quiconque, quel que soit le nom ce cette personne.
Je n’ai rien contre P. P. Wells lorsqu’il dit que Belladonna est caractérisé par la violence dans le fonctionnement de l’esprit et du corps. Il s’agit d’un auteur très sûr avec une importante expérience clinique, et qui a étudié les provings de façon très rigoureuse. Ce type de généralisation est très séduisante pour l’étudiant de la matière médicale et nous pouvons nous rendre compte facilement du caractère trompeur que cela prend si l’auteur n’est pas digne de foi, ce qui est plus souvent la règle que l’exception aujourd’hui. De nos jours, vous avez plus de chances d’être induit en erreur que d’être bien guidé, puisque n’importe qui peut aisément s’afficher comme un maitre de la matière médicale. De soi-disant “maitres” sont très courants, ils ont souvent un grand nombre de disciples fidèles, mais la plupart du temps, c’est l’aveugle guidant d’autres aveugles. Je connais quelques médecins qui ont suivi de tels enseignants comme on suivrait un gourou – certains d’entre eux ont perdu dix ans à prescrire sur de fausses images avant de se réveiller, et même maintenant, ils trouvent que c’est difficile de se débarrasser de ces idées. Parfois, lorsqu’ils me soumettent des cas cliniques – cas pour lesquels ils ont bien sûr échoué – ce que je les entends le plus souvent dire, c’est : “Pourquoi n’ai-je pas vu ce remède ? Comment ai-je pu le manquer ?”
La réponse est simple. Ils n’ont pas suivi le conseil de base donné par Hahnemann, qui est tout d’abord de prendre une observation complète. Une fois ceci bien fait, même un débutant serait capable de trouver le remède parce que nous avons une description parfaite du phénomène morbide. Sinon, avec un cas incomplet ou un cas rempli d’interprétations erronées, même un expert ne serait pas capable de trouver le bon remède. La seconde étape est d’analyser le cas pour trouver parmi la totalité des symptômes, ceux qui sont les plus frappants, les plus caractéristiques, les plus particuliers. La totalité de ces symptômes caractéristiques constitue ce que Guernsey appelait le génie de la maladie.
De façon similaire, lorsque nous étudions la matière médicale, nous essayerons d’identifier dans un remède son génie, ce qui constitue son identité ou son individualité, ce qui le distingue de tous les autres. En étudiant un cas, nous devons comparer le génie de la maladie au génie du remède. C’est l’essentiel de la méthode. Si nous prenons une observation clinique et que nous nous laissons emporter par nos préjugés en interprétant avec négligence ce qui dit le patient, nous ne prêtons pas attention dans ce cas au pur langage de la nature, et comme Hahnemann le dit, et nous ne pratiquons pas un interrogatoire “soigneux et honnête”. Lorsque nous en venons à l’analyse du cas et que nous superposons l’ensemble de nos interprétations des remèdes, nous ne suivons plus les traces d’Hahnemann mais pratiquons quelque chose qui ne peut plus être appelé la science de l’Homéopathie, et qui est plus proche de l’ésotérisme. Plus nous réduisons le portrait d’un remède, moins nous sommes capables de le reconnaître dans toutes ses nombreux aspects cliniques. Plus nous limitons l’image d’un remède, plus la réalité aura été déformée au point de ne plus être capables de reconnaitre son indication, même si elle semble très claire pour un prescripteur impartial.
De tous les très nombreux ajouts au répertoire, je considère que 90% de ceux que je confirme quotidiennement en pratique viennent d’Hahnemann. Dix pour cent viennent d’autres auteurs, et la plus grande partie de ces derniers viennent de l’Encyclopédie de Allen et des Guiding Symptoms de Hering. On ne peut en dire autant de tous ces auteurs modernes, en dehors d’une absence presque totale de fiabilité. Si vous recherchez des informations dignes de confiance, il vous faut commencer avec Hahnemann – et ensuite poursuivre avec Lippe. Lippe a pris tous les écrits d’Hahnemann, comme il les a trouvés, il les a appliqués à la lettre et en a publié ensuite leur confirmation. Il a eu cinquante années d’expérience pour approfondir ce qu’il affirme. Après avoir lu Lippe, nous pouvons revenir à Hahnemann pour mieux l’assimiler. Lippe était – et est encore – le meilleur professeur pour faire comprendre l’œuvre d’Hahnemann, en particulier en ce qui concerne les aspects cliniques de l’homéopathie. Les écrits de Lippe sont pleins d’énergie, attractifs, intelligents, logiques, clairs, profonds, critiques et pertinents. Hering est également très fiable. Il nous donne une vision large et comme Hahnemann c’était un chercheur.
Puis, il y a Dunham. Tout médecin homéopathe doit lire l’Homéopathie, la Science des Thérapeutiques de Carroll Dunham. C’est un bijou, il contient quelques-unes des pages les plus belles et les plus claires jamais écrites dans l’histoire de l’homéopathie. Il aborde des sujets difficiles comme la place de la thérapeutique par rapport à l’hygiène, ou les symptômes primaires et secondaires des médicaments, l’alternance de remèdes, l’utilisation des hautes dynamisations, le problème de la dose, le lien entre pathologie et thérapeutique, etc. Il a écrit sur ces sujets car il y avait un besoin de clarifier ces aspects de l’homéopathie qui sont embrouillés dans les écrits d’Hahnemann. Le style de Dunham est très clair et précis. Prenons par exemple le difficile sujet des symptômes primaires et secondaires des médicaments. Hahnemann a écrit à ce sujet très souvent dans l’Organon et ses autres travaux. Plus vous lisez Hahnemann, moins cela vous parait clair. Dunham reprend le problème et finit par le rendre clair. Plus tard, Kent reprend à son tour le sujet et nous sommes à nouveau dans la confusion.
Et puis, tout ce que vous pouvez trouver écrit par Nash est toujours de grande valeur, tout comme H. N. Guernsey, P. P. Wells, Joslin (senior), Yingling, Skinner, H. C. Allen, Harvey Farrington, Pierre Schmidt, Herbert Roberts, Elizabeth Wright-Hubbard, Julia Green. Pour ce qui est des auteurs contemporains, il y a Jacques Baur, qui est l’éditeur d’un excellent journal français, les Cahiers du Groupement Hahnemannien du Dr. Pierre Schmidt. Dr. Baur travaille actuellement sur la publication d’une compilation des écrits de Pierre Schmidt regroupant une série d’articles écrits durant les trente dernières années de sa vie. Ce sera un recueil sûrement intéressant à lire venant d’un auteur aussi raffiné que lui. Il y a toujours beaucoup à apprendre de bonnes revues. Je recommande à mes étudiants de chercher de bonnes revues, anciennes ou nouvelles, et de les lire de façon régulière. C’est une excellente manière de parfaire son éducation. Il y a un certain nombre d’anciennes revues qui peuvent être lues de bout en bout. C’est le cas de la revue The Homœopathic Physician, de l’Organon ou de la revue The Hahnemannian Advocate. Prenons cette dernière qui est vraiment exceptionnelle. Il y a eu neuf volumes publiés comprenant de merveilleux articles par d’excellents auteurs tells Nash ou Yingling. Ce sont des articles tout à fait fiables, habituellement très bien illustrés par des cas cliniques intéressants. Il y beaucoup à apprendre de journaux d’une telle qualité, un grand nombre de ces articles n’ont pas été en effet publiés dans des livres. Cela pourrait concerner l’enseignement de bien des maitres du passé tels Lippe ou Wells. Ce sont des personnalités que nous devrions considérer comme des leaders et sur lesquels nous devrions nous appuyer pour notre formation.
Q: Pouvez-vous nous donner un résumé de ce qui vous parait être les points essentiels dans la prise d’observation ?
A.S.: J’ai un exposé sur la manière de prendre une observation; c’est une longue conférence d’environ dix jours. Je commence l’exposé avec une douzaine de points clés qui sont importants pour comprendre lorsqu’on prend une observation.
Si je devais essayer de désigner le point le plus important dans une prise d’observation, ce serait pour le médecin de faire tout son possible pour garder son objectivité. C’est fondamental pour avoir une très bonne observation. Nous devons écouter le patient avec tous nos sens d’observation en alerte. Dès que nous introduisons nos préjugés ou que nous nous servons de questions directes, l’information obtenue perd de sa qualité. Pendant la prise d’observation, dès que nous nous focalisons sur un remède particulier, nous avons perdu notre objectivité. Il faut absolument que nous gardions notre neutralité jusqu’à la fin de l’observation. Ceci ne veut pas dire que nous n’évoquions pas certains remèdes en prenant l’observation. En découvrant des symptômes caractéristiques, il est inévitable de penser à certains remèdes. Intellectuellement, il vaudrait mieux dans ce cas écarter un remède plutôt que d’essayer de le confirmer. Bien sûr, on est facilement tenté de conclure rapidement. Nous devons rester en permanence attentifs afin de garder toute notre objectivité. L’emploi de questions directes est un bon moyen de se fourvoyer. Car pour réussir en médicine, comme en science, il ne nous faut pas perdre notre objectivité. Nous devons observer comme si nous n’étions pas présents, comme des observateurs de la nature dépourvus autant que possible de tout préjugé.
Le deuxième point important est que nous devons adopter une méthode qui décidera les patients à s’ouvrir et à “répondre à notre attente,” pour ainsi dire. Les patients se dévoileront au médecin en qui ils ont confiance. Ils feront plus confiance à celui qui est sincère et compétent. Le temps de la prise d’observation en homéopathie est le moment où les patients peuvent le mieux prendre confiance dans le praticien. Si nous passons trente minutes à examiner la plainte principale du patient, par exemple un cas de sclérose en plaques, et si en l’interrogeant sur les modalités qui affectent ses symptômes, le patient précise que tous ses symptômes sont aggravés juste avant une tempête. Il y a un moment magique qui s’établit entre le patient et son médecin. Tout d’abord, nous avons passé plus de temps déjà en interrogeant le patient sur son problème que la plupart des neurologues ne l’aurait fait. Ensuite, le patient remarque notre réaction d’intérêt lorsqu’il a mentionné le fait que les symptômes sont aggravés avant une tempête. Non seulement le patient a senti que son médecin l’écoute mais aussi que son histoire est vraiment différente des autres cas (contrairement au neurologue pour qui c’était un signe sans importance). Ensuite nous lui posons des questions sur sa position dans le sommeil, si son corps ou certaines parties sont froides ou chaudes pendant le sommeil, sur ses rêves, ses désirs alimentaires, etc. Inévitablement il y a une complicité qui s’instaure entre le médecin et le patient. Nos patients ne peuvent pas aider mais sentent notre intérêt pour eux.
Nous poursuivons en leur demandant de nous parler de leurs personnalités, de leurs anxiétés, de leur intimité profonde ; c’est alors qu’ils pourront révéler ce que nous devons savoir. Ils sont alors comme un livre ouvert. C’est le meilleur moyen de découvrir la vérité qui est la seule route vers le succès. La voie qu’Hahnemann nous a enseignée sur la technique de prise d’observation est très classique. Il m’a été rapporté que l’on encourage les étudiants en médecine de l’Université d’Harvard de se faire guider par des médecins homéopathes afin de développer leur technique de prise d’observation. Il est difficile d’imaginer une meilleure méthode de voir des patients s’ouvrir à leur médecin. Bien sûr pour inspirer une telle confiance chez nos patients, il nous faut être sincère. Cette qualité est nécessaire lorsque nous prenons la décision d’entreprendre des études de médicine.
Les principes de base de la prise d’observation ont été établis par Hahnemann dans l’Organon. Cependant, dans le second volume de l’édition Américaine de la Materia Medica Pura, Hahnemann évoquait l’importance de devenir de bons observateurs. C’est un merveilleux article de médicine classique. Dans ce livre, il dit que : “Cette capacité d’observation fine n’est jamais tout à fait innée ; elle doit être surtout acquise par la pratique, en peaufinant et régulant la perception sensorielle, en exerçant une sévère critique vis à vis des impressions rapides que nous avons des objets externes [nous devons donc être critiques de notre sens d’observation], et en même temps, le sang froid, le calme et la fermeté de jugement nécessaire doit être préservé, tout en conservant une méfiance constante de nos capacités de compréhension.” Vous voyez lorsque nous prenons un cas, nous ne devons pas arriver à une conclusion trop vite. Nous devons apprendre à conserver notre “sang-froid.” Nous devons toujours contrôler et contrôler une fois encore avec le patient en le questionnant habilement jusqu’à ce que nous ayons un tableau clair de ce qui est vraiment arrivé au patient. Nous devons nous aussi être patients.
Pour pratiquer l’Homœopathie, un médecin qui n’est pas patient au départ, devrait apprendre à l’être ou changer de profession. Sans patience, nous ne pouvons pas être de bons observateurs. Comme n’importe quel vrai scientifique, nous devons pour bien observer, laisser les choses s’éclaircir à leur propre rythme. Il est essentiel d’être très patient et compréhensif, d’avoir de l’empathie pour le patient. Si nous n’avons pas de compassion, le patient ne s’ouvrira pas à vous. Nous pouvons aussi bien nous tourner vers le monde des affaires. Je dirais que l’objectivité, la sincérité, la patience et la compassion sont quelques une des ingrédients essentiels pour obtenir un bon cas.
Un autre aspect est la minutie. Posez-vous la question si Sherlock Holmes en examinant la scène d’un crime accepterait d’en omettre une moitié, ou plutôt s’il voudrait y inclure tout témoignage détaillé ; rien ne doit être à priori écarté. Il n’impose aucune limite à son investigation. En d’autres termes, on peut découvrir la solution d’un crime en étudiant la chronologie des évènements précédant le crime, la position du cadavre, la boue sur les chaussures de la victime, un numéro de téléphone dans une de ses poches, la profession de la victime, un héritage familial, etc. La prise d’observation est très proche du processus d’enquête dans un crime. Les deux recherchent des indices. Alors que l’une recherche des indices orientant vers un suspect, l’autre cherche des indices conduisant à un remède. Les indices dans le cas clinique peuvent se trouver dans toute idiosyncrasie, telle que le moment d’aggravation, une position dans le sommeil, un désir alimentaire, un état psychologique particulier, un symptôme objectif, un ancien symptôme qui n’est plus présent, dans les antécédents médicaux du patient, de sa famille, etc. Nous ne pouvons pas faire des à-priori et nous ne pouvons laisser aucune pierre sans l’avoir retournée. Nous ne devons pas considérer un élément comme étant à priori de peu d’importance. Nous devons chercher des indices partout dans le cas. Comme beaucoup de mes cas en situation critique, toute laxité dans ma rigueur risque de diminuer les chances de guérison de mon patient. Il ne m’est pas permis de ne pas être minutieux.
Un autre aspect de la prise d’observation est dans la recherche d’une compréhension globale du patient et de son problème. En d’autres termes, à la fin du cas, tout devrait paraitre clair pour le médecin. Les circonstances, les causes, l’apparition des symptômes et l’évolution de la maladie devrait constituer un tout compréhensible. Le cas n’est pas terminé tant que nous n’avons pas atteint un niveau de compréhension suffisant.
En prenant un cas, nous devons aussi prendre des notes claires afin que ‘l’histoire’ écrite soit non seulement compréhensible pour nous mais aussi à quiconque pourrait utiliser le cas. Tout ce qui est nécessaire au diagnostic, au pronostic, au suivi du cas, à la prescription devrait être noté par écrit. Les symptômes devraient être notés avec les mots précis utilisés par le patient avec le minimum d’interprétation possible. Bien sûr, seuls les symptômes particuliers qui ont orienté vers la prescription du simillimum nécessiteraient d’être soulignés, de sorte qu’à la fin en passant le cas en revue vous soyez capable de rapidement visualiser les quelques symptômes soulignés.
En dernier lieu, après l’examen clinique, nous devons écrire nos impressions, aussi bien une description de la morphologie du patient, de sa physionomie, de son teint que des aspects objectifs du tempérament et de la personnalité du patient. Il y a d’autres aspects de la prise d’observation mais je pense que je vous ai ici souligné les principes fondamentaux.
Q: Quels sont les points essentiels de l’analyse du cas?
A.S.: Lorsque vous avez pris une observation de façon complète et satisfaisante, ce peut alors être assez facile. Dans le paragraphe 104, Hahnemann affirme que lorsqu’un cas a été étudié de façon complète et soigneuse et noté par écrit avec précision, le plus dur pour le médecin a été alors effectué. Maintenant, que tous les éléments sont en face de nous, il nous faut nous poser la question suivante :
Quel est l’élément le plus frappant dans ce cas ?
Ce n’est pas évident pour le médecin non formé. Pour savoir ce qui est frappant, tout d’abord, nous devons savoir ce qui est commun à la nature humaine, comment les gens fonctionnent et ce qui est habituel ou inhabituel dans un symptôme particulier lors d’une pathologie particulière ou dans un comportement particulier apparu dans une situation donnée. Cela inclut la connaissance des comportements, ou l’éthologie, dans des cultures variées. Je vous donne un exemple : Quel est le pourcentage de la population du monde occidental qui ressent un certain degré de timidité en usant des toilettes publiques avec présence d’autres personnes dans le voisinage immédiat ? En fait, nos toilettes sont construites de façon telle que nous sommes un peu dissimulés (protégés ?) les uns des autres, outre le fait que nous essayons de garder une certaine distance les uns des autres. Après enquête parmi mes patients, je dirais que le chiffre peut aller jusqu’à 90%. Cependant, dans d’autres cultures où les gens ont l’habitude de se soulager avec d’autres personnes dans le voisinage immédiat, cela se produit tous les jours. Dans notre culture, ce serait plus étonnant si une personne n’avait aucune inhibition, ou si un autre présentait un degré inhabituel d’inhibition allant jusqu’à éviter totalement les toilettes publiques.
La valeur caractéristique du symptôme dépend de son niveau d’intensité qui est en rapport avec la norme du groupe auquel la personne appartient. Un autre exemple : lorsque je demande aux étudiants dans une classe, combien ont une forte envie de sucreries, le chiffre est habituellement entre soixante et soixante-cinq pour cent ; un désir de sucreries n’est donc pas très caractéristique en lui-même comparé à la même intensité du désir de glace. Ce que j’essaye de dire, c’est que mieux nous connaissons la nature humaine, mieux nous serons capables de distinguer ce qui est caractéristique chez un individu de ce qui est commun pour le groupe. Connaitre la nature humaine demande du médecin homéopathe un large savoir dans de nombreux domaines incluant l’éthologie, la sociologie et la psychologie. Le médecin homéopathe doit être capable de reconnaitre ce qui est caractéristique chez un être humain, mais il doit aussi connaitre la pathologie.
L’étude de la pathologie ne devrait pas être limitée à l’étude de l’évolution terminale de la maladie comme nous le voyons dans les livres actuels de pathologie, mais devrait s’élargir à l’ensemble de l’évolution de la maladie du début jusqu’à la phase finale avec un accent particulier sur l’étude des étiologies.
Nous devons également, bien sûr, connaitre très bien la matière médicale, car mieux nous la connaissons, plus nous serons capables de distinguer ce qui est frappant de ce qui est habituel. Enfin, l’expérience clinique approfondira ce savoir. C’est le test suprême. C’est là que nous obtenons nos confirmations. C’est là que nous apprenons par exemple que, d’un côté un symptôme caractéristique d’un remède, par exemple la paresthésie ascendante de Conium, n’est pas caractéristique et en fait de peu de signification dans la recherche d’un remède dans un cas de sclérose en plaques, car c’est un symptôme commun de cette maladie. D’un autre côté, c’est l’expérience clinique qui nous apprend que nous pouvons avoir des symptômes banaux d’un état pathologique, tels une dilatation ou un mouvement des narines observé dans un cas évolué d’insuffisance respiratoire comme dans un cas sévère de pneumonie, qui vont se révéler être un symptôme guide très fiable.
Pour revenir à votre question sur la manière d’analyser un cas, après avoir en premier lieu pris l’observation soigneuse, nous faisons une liste des symptômes les plus caractéristiques et par conséquents des plus précieux. Si le patient ne présente qu’une seule maladie (stade ou syndrome), nous réunissons tous les symptômes caractéristiques en un seul ensemble. Nous regroupons ces symptômes caractéristiques avec ceux de très haute valeur en début de liste et les moins importants en fin de liste. Ceux qui sont en tête de liste sont les symptômes guides tandis que ceux qui sont en bas sont les symptômes servant de différentiation ou de confirmation. Avec l’aide du Répertoire, les premiers guident le prescripteur vers un groupe de remèdes tandis que les derniers aident à différentier ou confirmer un ou plusieurs remèdes qui sont très proches. Cette totalité des symptômes caractéristiques constituent alors le génie du cas. La dernière étape est de lire la matière médicale pour découvrir quel remède est le mieux assorti avec le génie du cas.
Cependant, si le patient se présente avec deux ou plus de deux maladies dissemblables, les symptômes caractéristiques seront alors regroupés derrière chaque maladie dissemblable. Par exemple, nous verrons généralement un patient présentant un stade aigu, une pneumonie par exemple, et un état chronique qui comprend par exemple une arthrite chronique, des troubles digestifs, une insomnie, de la fatigue et de la nervosité. Souvent, dans un tel cas, les symptômes de l’état aigu seront dissemblables de l’état chronique. Puis, les symptômes caractéristiques seront divisés en deux ensembles, d’une part tous les symptômes qui sont apparus depuis l’apparition de la situation aigue, et d’autre part, tous les symptômes de l’état chronique. Il y a aussi des cas plus compliqués dans lesquels deux ou plus de deux maladies dissemblables sont combinées ensemble formant ce qu’Hahnemann a appelé une maladie complexe. Dans la mesure du possible, chaque maladie dissemblable doit être identifiée et leurs symptômes caractéristiques doivent être bien séparés. Il y a un grand nombre de possibilités pour la coexistence de deux ou plus de deux maladies dissemblables chez le même malade. Les maladies se développant selon des stades, qu’il s’agisse d’un stade aigue comme une pneumonie, ou chronique, comme une insuffisance rénale, chaque stade de la maladie peut être une maladie dissemblable, requérant donc un remède différent pour chaque stade.
Q: Parlons un peu de la dynamisation des remèdes et de la posologie. Quelles dynamisations utilisez-vous dans votre pratique quotidienne ?
A.S.: On ne devrait pas donner trop d’importance à la réponse à cette question. Un médecin peut apprendre à maitriser n’importe quelle dynamisation, à s’y tenir et faire face à tout problème quel qu’il soit avec cette gamme de dynamisation. Cependant, je suis en accord avec Nash sur cette question. Dans son Testimony of the Clinic, il dit qu’il a l’habitude de dire dans ses cours à l’académie “que celui qui se limite à ne prescrire que des remèdes en hautes ou en basses dynamisations, se prive d’agir au mieux pour ses patients.
Nous ne devons pas pour ce qui est de la posologie nous limiter à la ‘divisibilité admise scientifiquement de la matière,’ mais nous pouvons et devrions profiter de toute l’échelle de dynamisations, du remède à l’état brut jusqu’à la plus haute dynamisation de Fincke, et respecter le résultat donné par le test le plus fin, le test physiologique.” Sans se préoccuper de la gamme de dynamisations utilisées, ce que j’ai trouvé être le plus efficace, c’est d’adapter la posologie au patient. C’est ce que j’ai appelé la posologie optimale. Ce qui signifie de choisir une dynamisation qui serait la meilleure pour le patient à ce moment. Comme pour la répétition, elle devrait être, elle aussi, optimale, ni trop prématurée, ni trop tardive.
En règle générale, je commence un cas chronique avec une 200 Dunham ou une XM Korsakoff. Si le patient est trop sensible pour une 200, je lui dirai de prendre une cuiller à café ou moins du remède dilué dans un ou plusieurs verres d’eau. Certains patients sont encore plus sensibles que cela et dans ce cas je descendrai jusqu’à une 30 ou encore plus bas jusqu’à une 6CH. Dans quelques cas, si la dilution du remède dans de l’eau n’est pas suffisante, je peux demander au patient de renifler brièvement le remède. Hahnemann le faisait très souvent. Le but est ici d’obtenir le bénéfice maximum avec la gêne minimale pour le patient.
D’habitude, j’utilise le même remède à la même dilution aussi longtemps que le patient en tire un bénéfice croissant. Par exemple, si j’utilise une 200 et que le patient s’améliore pendant cinq semaines après la première dose, et pendant six ou sept semaines après la deuxième dose, je continuerai à donner le même remède à la même dynamisation de la même manière aussi longtemps que le patient en tire un bénéfice croissant et que le tableau reste inchangé.
Mais lorsque le patient n’est plus sensible à une dynamisation du remède, lorsqu’il ne réagit plus aussi bien à une nouvelle dose, que cela n’a rien à voir avec des circonstances extérieures et que rien ne s’est produit pouvant interférer avec la réaction au remède, alors c’est le moment de changer pour une dynamisation plus haute, aussi longtemps que le tableau actuel reste inchangé.
A ce moment, nous pourrions également choisir une dynamisation plus basse comme Hahnemann l’a fait pendant de nombreuses années. Cela n’a pas grande importance. En règle générale, je préfère monter la dynamisation. Je monterai de cette manière jusqu’à la dynamisation MM et ensuite si nécessaire, je repartirai avec des dynamisations moyennes. A ce moment-là, j’utiliserai si possible des dynamisations intermédiaires, telles une 500, une 5M, une 20M, etc. Plus on attend avant de réintroduire la dynamisation d’un remède à laquelle un patient a dans le passé perdu sa sensibilité, plus il y aura de chances que la sensibilité à cette dynamisation sera de retour. Donner deux fois le même remède à la même dynamisation sans aucun plussing est contraire à ce qu’Hahnemann a enseigné.
Cependant, je trouve plus efficace d’évaluer la sensibilité du patient à un remède si, au moment d’une rechute, la même dynamisation est à nouveau donnée de la même manière. C’est le mieux que l’on puisse faire en répétant la même expérimentation en médecine. Les résultats d’une telle expérimentation fournissent au médecin toutes sortes d’information très utiles quant à la curabilité du patient, le degré de similitude du remède et plus encore, toutes informations qui peuvent être très importantes. Ce serait trop long d’approfondir tout cela maintenant. Pour revenir à la répétition du remède, il devrait être répété au moment optimal. Sinon, le patient récupérera plus lentement avec plus de rechutes significatives et, si le remède est répété trop souvent, le patient perdra sa sensibilité au remède. Il faut toujours garder à l’esprit que le patient doit recouvrer sa santé de la manière la plus rapide. Le meilleur moment pour répéter le remède, c’est lorsque le patient a fini de répondre à la dose précédente et s’est stabilisé ou démarre une rechute.
Dans un cas aigu, l’approche est un peu différente sur deux points. D’abord, la dynamisation de départ sera généralement en accord avec la sévérité ou l’importance de l’état aigu. Dans ce cas, il n’est pas inhabituel de commencer un cas avec une XL ou LM. Ensuite, la répétition du remède devrait être faite de façon à prévenir une rechute. Il est clair qu’il serait malencontreux de voir une rechute se produire dans des cas de pyélonéphrites, de méningites ou de pneumonies.
Q: Selon votre expérience, y-a-t’il des différences dans les effets des dynamisations C-, D-, LM- et Korsakoff ?
A.S.: C’est une question très difficile. Il y a toutes sortes de façons de préparer nos remèdes en modifiant la concentration, le nombre de flacons utilisés, le nombre ou la puissance des succussions (Jenichen, Dunham), ce qui nous fournit toutes sortes de dynamisations comme les centésimales et quinquagentésimales d’Hahnemann, les centésimales de Korsakoff, les dynamisations de Jenichen avec peu de dilutions mais des succussions puissantes et répétées, les succussions puissantes faites pour l’obtention des Dunham, la fluxion continue de Fincke et la fluxion interrompue de Skinner.
Les dynamisations centésimales d’Hahnemann sont parfaites hormis le fait que l’échelle en soit limitée à la 200 ou à la 1M. Les dynamisations de Korsakoff et Skinner sont excellentes et nous donnent une échelle plus haute. Les dynamisations de Fincke sont parfaites. C’étaient les dilutions favorites de Lippe. Malheureusement, elles ne sont pas disponibles en pharmacies. Il est intéressant de noter que celles de Fincke et Skinner ne sont pas l’objet de succussions en dehors de celle de la force exercée par le jet d’eau.
Les quinquagentésimales de Hahnemann et les dynamisations de Jenichen sont en fait des basses dynamisations et peuvent être trop contraignantes. Il y a également beaucoup de patients qui répondront mieux aux basses dynamisations qu’aux plus hautes, leur degré de similitude ne nécessitant pas d’être aussi grand pour obtenir une réponse. De ce fait, notre recherche du simillimum peut être plus difficile avec les basses dynamisations, car nous obtenons de trop nombreuses fausses réponses positives.
Je trouve que les 200° de Dunham sont les meilleures dans la catégorie des 200°. La réponse du patient avec ces dernières semble dans l’ensemble plus profonde et de plus longue durée. Je me sers des 200° de Dunham, des centésimales d’Hahnemann, des anciennes dynamisations de Bornemann montées à la main, des Skinner fabriquées par Boericke et Tafel, des anciennes dynamisations de Fincke et aussi des Korsakoviennes. Elles donnent toutes d’excellents résultats. A mon avis, le problème le plus souvent ne dépend pas du remède et de sa méthode de fabrication, mais plutôt du prescripteur. La vraie clé, c’est de trouver un remède avec le plus fort degré de similitude que nous puissions trouver. Plus fort est le degré de similitude, meilleure sera la réaction vitale, et par conséquent meilleur sera le rétablissement du patient.
Q: Que pensez-vous des LM ?
A.S.: C’est une question très délicate. Je ne voudrais pas offenser quiconque parmi vos lecteurs mais la question doit être exposée et discutée librement. Voyons d’abord brièvement l’évolution personnelle d’Hahnemann quant à la posologie. Il essayait constamment de faire des progrès sur la posologie. Il a commence d’abord à diluer les remèdes, afin de les rendre moins toxiques. Il a commence avec des dilutions au 500°; puis il en fait une à la 10 000° et ainsi de suite. Ensuite il s’est mis à faire des dilutions successives en changeant de flacons. Finalement, il a adopté de façon systématique des centésimales sans succussions au début puis plus tard avec des succussions. Il a fait des expérimentations avec une centaine de succussions puis il a diminué à deux, pour remonter à nouveau leur nombre. Enfin, dans les huit dernières années de sa vie, il a commence à utiliser des dynamisations de plus en plus hautes. En 1840, il se servait couramment des 200°. Au début de 1841, il a commencé à expérimenter les quinquagentésimales. Au total, il a eu seulement environ douze remèdes préparés de cette façon et la plus haute était une dynamisation de Sulfur en LM20. Il a pratiqué avec ces dernières pendant deux ans environ. Dans la fin de l’année 1842, il a fait moins de prescriptions. En 1843, il a très peu pratiqué. Son dernier patient à être inscrit dans ses cahiers cliniques remonte au début du mois de mai 1843. A cette époque, il se préparait à publier la sixième édition de l’Organon. Apparemment, il sentait qu’il avait assez d’expérience pour recommander avec autorité les LM à ses collègues. J’ai lu dans les cahiers d’Hahnemann presque tous les cas pour lesquels il s’est servi de dilutions LM. C’est véritablement très difficile de se satisfaire de ses succès.
Lorsque nous étudions Hahnemann aussi bien en tant que personne que de scientifique, nous découvrons vite qu’il avait tendance à être très dogmatique dans ses écrits en présentant sa dernière expérimentation comme la solution idéale. Cette approche de sa personnalité est contraire au grand esprit scientifique qu’il avait. Lorsque nous lisons son œuvre dans un ordre chronologique, à chaque étape de son évolution, il fait comprendre au lecteur que la méthode a été maintenant portée jusqu’à sa perfection absolue. Puis vient l’œuvre suivante, et il nous dit maintenant que des expérimentations complémentaires lui ont permis d’abroger ce qu’il avait dit antérieurement avec une très grande certitude et que la méthode a atteint maintenant un nouvel état de perfection, et ainsi de suite. Si nous lisons un ouvrage d’Hahnemann, quel qu’il soit, même la sixième édition de l’Organon, nous pouvons être frappés par son dogmatisme et ne pas être tenté de lire un autre livre. Je pense que nous honorerions Hahnemann davantage en comprenant et en adoptant la méthode inductive qui est à la base de ses succès, qu’en adoptant son dogmatisme et en répétant ses erreurs. Ne serions-nous pas insensés de ne pas apprendre de ses erreurs ? A mon sens, le véritable Hahnemannien n’est pas celui qui fait ce qu’Hahnemann a dit de faire mais celui qui procède avec l’aspect positif de son approche, la méthode inductive. C’est lui le véritable Hahnemannien, non un disciple strict, mais celui qui comprend.
Il est probable que si la sixième édition de l’Organon avait été publiée plus tôt, la question des dynamisations aurait évolué différemment. Dès qu’Hahnemann est mort, Boenninghausen, peut-être cela est-il heureux, a commencé à prescrire systématiquement des deux centièmes de Lehman. Plus tard, les Hahnemanniens, en particulier en Amérique, commencèrent à expérimenter avec des dynamisations de plus en plus élevées. Comme nos prescripteurs les plus dignes de confiance les ont testées régulièrement pendant plus cent cinquante ans, en commençant par Hahnemann lui-même, suivi par Bœnninghausen, Lippe, Hering, Dunham, Skinner, Nash, etc., les dynamisations plus élevés ont été éprouvées et ne sont pas près de disparaitre. Je ne suis pas certain que vous puissiez obtenir de tels résultats si nous nous limitions aux plus basses dynamisations, et en fait, les LM sont des dynamisations très basses. Je ne les ai pas utilisées, en premier lieu parce que j’en ai pas eu besoin, deuxièmement parce que leur emploi est trop compliqué (en gardant à l’esprit le second paragraphe de l’Organon: “… d’après des principes clairs et intelligibles”) et ensuite parce que quelques auteurs dignes de confiance, comme Pierre Schmidt et P. Sankaran (le père), ne les ont essayées que pour les abandonner ensuite. Cela ne signifie pas qu’elles n’aient pas un rôle à jouer mais je ne pense pas qu’elles soient ce qu’Hahnemann espérait, les préparations homéopathiques idéales.
Nous ne pouvons renier les succès incroyables que nous avons eus avec les plus hautes dynamisations sur lesquelles, malheureusement, nous n’avons pas l’expérience d’Hahnemann. Je ne veux pas enlever aucun crédit aux LM mais on doit considérer les choses de façon très large. On doit espérer que nos dynamisations continueront à évoluer vers la perfection. Comme Hahnemann, notre but devrait être de toujours essayer de parfaire notre méthode, y compris le problème de la dynamisation. Comme lui, nous soutiendrons les changements, les changements positifs.
Q: Vous avez parlé de quatre écoles ou méthodes distinctes en Homéopathie, l’école d’Hahnemann, de Kent, l’école Classique et Néo-classique. Comment les différentier et les évaluer?
A.S.: J’ai écrit un article sur cette question. Au fond, Hahnemann a développé une méthode thérapeutique avec des principes clairement définis qu’il a appelé l’Homéopathie. Il est essentiel qu’à chaque fois que quelqu’un emploie le terme d’Homéopathie, ce soit en référence à la méthode thérapeutique clairement défini par Hahnemann. Malheureusement, pour différentes raisons, nombreux sont ceux qui, sans comprendre l’homéopathie, se sont arrogés le droit d’utiliser le mot homéopathie pour des techniques thérapeutiques tout à fait différentes. Depuis le temps d’Hahnemann, beaucoup se sont ainsi improvisés homéopathes et ont donné une fausse image de la profession. Ce n’est pas correct. Si quelqu’un se renseignant sur l’homéopathie cherche à être soigné avec cette approche thérapeutique et fait appel à quelqu’un se présentant lui-même comme homéopathe, ne devrait-il pas s’attendre à recevoir le meilleur de ce que l’homéopathie peut offrir? Malheureusement pour cette personne, aucun imposteur ne pourra lui apporter ce que peut promettre l’homéopathie. Si les praticiens désirent pratiquer quelque chose d’autre, ils doivent l’appeler autrement. Il n’y a aucune justification à leur usurpation du mot homéopathie. Le terme homéopathie devrait suffire à identifier de façon claire une pratique en accord avec la méthode mise au point par Hahnemann.
De la même manière, je ne suis pas partisan de l’adjectif classique non pas à cause de son utilisation récente mais de l’aspect faussement élitiste qui lui est associé. Cet adjective sous-entend habituellement homéopathie Kentienne ou supra-Kentienne. Au dix-neuvième siècle (avant l’époque de Kent), les disciples d’Hahnemann ont constitué, à la demande de Lippe, l’Association Internationale Hahnemannienne (IHA) pour séparer l’homéopathie véritable de ses déformations. En règle générale, les dirigeants de cette association ont très bien compris l’homéopathie. Puis est venu Kent, qui a soutenu l’IHA pendant quelques temps, puis l’a abandonnée et en fin de compte a constitué avec ses étudiants la Société des Homœopathiciens. Kent a introduit ces propres préjugés, avec les enseignements de Swendenborg dans la pratique de l’homéopathie. Il n’y a aucun doute que Kent était un bon clinicien et un professeur très recherché, mais ce ne fut pas un des grands maitres. Il n’a pas atteint les critères d’un bon nombre de ses prédécesseurs. Comme il était très charismatique, les gens du vingtième siècle ont suivi presque aveuglément son enseignement sans chercher plus loin auprès des maitres du passé ou même d’Hahnemann. C’est devenu un des mythes, les étudiants les uns après les autres ont suivi l’enseignement de Kent présumant qu’il avait maitrisé l’homéopathie. Comme ses écrits font autorité comme ceux d’Hahnemann, une sorte d’idolâtrie s’est développé autour de la personnalité de Kent. Cette idolâtrie a empêché les étudiants d’étudier avec sens critique les écrits de Kent et en même temps de lire des œuvres des maitres qui ont précédé Kent.
Plus tard, au vingtième siècle, ceux qui avaient été influencés par l’enseignement de Kent sont devenus encore plus dogmatiques que lui, ce que nous pourrions appeler les supra-Kentiens, plus Kentien que Kent lui-même. Kent s’était déjà écarté des enseignements d’Hahnemann, aussi ces supra-Kentiens flottent dans quelques lointaines galaxies. De plus en plus, la profession homéopathique au vingtième siècle s’est écartée et s’est déconnectée de ses racines. J’espère que l’avertissement de Hering mentionné précédemment dans cet interview où il parle de ne pas du tout s’écarter de la méthode inductive d’Hahnemann fera sonner plus de cloches.
Aujourd’hui, nous avons des professionnels qui pratiquent cette homéopathie supra-Kentienne et en général l’appellent Classique alors qu’elle est en effet Néo-Classique. Peu parmi eux ont lu les œuvres d’Hahnemann et des maitres du passé. L’Homéopathie Classique devrait être l’Homéopathie d’Hahnemann et des Hahnemanniens, ou en d’autres termes, la véritable Homéopathie. Malheureusement, peu étudient l’histoire ; à mon avis, c’est une grosse erreur. Heureusement, parmi nous, il y en a de plus en plus pour remédier à cette situation non seulement pour notre bien et aussi celui des malades et de la profession toute entière.
Q: Merci de nous avoir accordé cet entretien.
A.S.: Vous êtes les bienvenus et je vous remercie de m’avoir donné une opportunité de partager mes points de vue.
(La 3° Partie de cet entretien a été enregistré en Mars 1997 à Vienne)