Par le Dr. James Tyler Kent. The Homoeopathician, Février 1912.
Traduction littérale par Édouard Broussalian.
Réécrit par Camille Genton.
Préambule du traducteur.
Kent pose dans cet article l’épineux problème de la compréhension de notre Art homoeopathique: raisonner sur le malade, pas sur les organes. C’est la grande pierre d’achoppement, et bien des confrères échouent car ils cherchent encore le remède à donner dans l’angine ou la migraine. C’est dire combien ce texte demeure d’actualité.
Un de mes professeurs de la faculté me disait que l’homoeopathie n’est que symptomatique, car elle ne s’occupe que de symptômes, alors que la médecine traditionnelle est curative car traitant les maladies. Si un homme aussi cultivé et respectable peut commettre un tel contresens, il est urgent de préciser les choses. A la lumière des nombreux cas que l’on peut observer on peut conclure qu’un dérèglement qui nous demeure non connu directement provoque un dysfonctionnement de l’organisme qui se traduit indirectement par des signes et symptômes. D’autre part, une drogue ou un médicament est capable de perturber un organisme en bonne santé de sorte que des signes et des symptômes apparaissent. Malgré les progrès en physio-pathologie, jamais nous ne pourrons connaître le mode d’action d’une drogue dans tout l’organisme autrement qu’en connaissant l’ensemble des symptômes qu’elle peut provoquer.
En somme le désordre initial responsable de l’apparition des symptômes nous reste caché que ce soit dans la maladie naturelle, ou artificielle médicamenteuse. Pragmatiquement, Hahnemann constate que si on donne à un patient présentant un ensemble de symptômes un médicament capable de produire le même tableau, on obtient une guérison. Tout le reste, y compris le problème de la dynamisation n’est qu’accessoire. Cette Loi de Semblables n’a jamais pu être démentie, et pour cause, depuis 250 ans, la seule polémique entretenue par les médecins de l’ancienne école visant la quantité de médicament.
Il faut du courage, de l’intelligence, de la persévérance pour faire un homéopathe, c’est pourquoi le Dr. Schmidt était pessimiste en doutant que l’on ne parvienne jamais à former des masses d’homéopathes “car on ne peut avoir à la fois quantité et qualité” disait-il. Mais je suis certain que la donne est bouleversée grâce à Internet. Voilà l’un des défis que Planète Homéo doit relever en diffusant largement une information véritable sur la “Science et l’Art de guérir”.
E.B.
INTRODUCTION
Un médecin d’âge avancé s’interroge sur les nombreux échecs du passé. L’homéopathe fidèle se rappelle un homme, une femme, un enfant, qui ont fait partie de ses échecs mais qui ne seraient maintenant que des cas simples. La prescription du remède homéopathique est tellement une affaire d’expérience et de progrès qu’on peut dire que “le meilleur vin est gardé pour la fin du festin”. Au début d’une pratique, de nombreuses maladies aiguës continuent de suivre leur cours; avec l’âge et l’expérience elles sont pratiquement toutes enrayées.
Le jeune praticien constate les années de réussite d’une longue expérience et se demande s’il s’il obtiendra lui aussi de telles guérisons à la manière de Hahnemann. Il est bon d’espérer – pour tous – qu’avec l’expérience, chacun puisse parvenir au même haut niveau de perfection dans l’art de guérir que Hahnemann. A l’heure actuelle nous pouvons traiter plus de cas que Hahnemann ne pouvait faire à son époque, parce que nous avons d’avantage de remèdes, de dynamisations, et des dynamisations plus élevées. En revanche, la technique de prescription a connu peu de progrès. C’est sur ce point que nous avons tous le plus besoin de diriger notre réflexion. Aucun des élèves de Hahnemann ne l’égalèrent. Peu d’hommes depuis Hahnemann peuvent prétendre à des résultats équivalents aux siens. Ce qu’il a pu faire à son bel âge nous semble si merveilleux.
Si nous voulons faire des progrès, nous devons avoir en permanence à l’esprit les enseignements de L’ORGANON.
1. Nous devons longuement réfléchir sur ce qui doit être transformé dans l’être humain afin de rétablir la santé.
2. Nous devons méditer longtemps sur ce qui constitue le pouvoir ou principe curatif des remèdes ou des médicaments. (§3.)
A certains, cette question jusqu’ici amplement discutée apparaîtra comme une vieille rengaine. D’autres s’étonneront d’apprendre que beaucoup de nos soi-disant fidèles amis pensent et agissent comme si le patient était malade parce que son foie, ou son cour, ou son estomac, ou un autre organe, ne fonctionne pas correctement.
Tant qu’on pensera que l’homme est malade à cause du mauvais fonctionnement de ses organes, il sera impossible mettre en ouvre un traitement en accord avec L’ORGANON. Tant que l’on prendra les effets pour les causes, le vrai but restera dissimulé.
Tant que l’on pensera ainsi, que l’on prendra les symptômes en fonction et que l’on répertorisera de cette manière, bien que l’on puisse se satisfaire de tels résultats, ils ne seront pas comparables à ceux obtenus en pensant que les organes malades ne sont que le résultat d’un état de désordre en l’homme lui-même ; de l’homme constitué d’abord par son esprit et son être physique et, en dernier lieu d’organes et d’extrémités. (§§ 10-11, 15.)
La nosologie traditionnelle peut être utile dans la mesure où nous avons des relations publiques à entretenir, mais elle est inutile dans l’art homéopathique de guérir.
Avant de percevoir ce que sont les causes et les conséquences, il faut avoir clairement à l’esprit ce qui vient en premier dans l’homme et ce qui vient en dernier ; ce qui est du plus haut niveau, et ce qui est du plus bas niveau ; ce qui est le plus intime en lui, et ce qui est en périphérie. Tant que l’on songera aux états pathologiques en tant que causes, on agira dans la direction opposée à celle de la guérison, donc vers la destruction.
Tous les processus nutritifs sont dirigés et conduits du centre vers la périphérie. Tout processus de guérison doit être dirigé et conduit depuis le centre vers la périphérie.
Bien des étudiants ayant souvent entendu ces mots se sont interrogés sur leur sens. Depuis de nombreuses années, j’ai constaté que seuls les étudiants qui ont compris le sens de ces déclarations parviennent à des résultats, je garde un oil vigilant sur ceux qui continuent de s’interroger sur leurs sens. Seuls les médecins qui peuvent en percevoir le sens suivront les directives de L’ORGANON de Samuel Hahnemann et guériront les malades comme il l’a enseigné, c’est à dire en guérissant le patient de sorte que les organes puissent reprendre leur fonction normale. Ceux qui donnent Bryonia pour la pneumonie, Nux-vomica pour l’estomac, Kalium iodatum pour la syphilis, ou Belladonna pour la congestion cérébrale, apprennent rarement à individualiser les caractéristiques du patient, de son être propre jusqu’à ses parties ou organes. Le mieux qu’ils sachent faire est d’individualiser le remède d’après les symptômes des organes et des parties, en espérant arriver quelque part. De cette manière, leurs joies et succès ne seront que des ” coups chanceux “. Aux yeux de ceux qui suivent l’enseignement de Hahnemann et notamment qui ont appris à placer les symptômes mentaux au premier plan dans la totalité des symptômes chez l’homme malade (§ 213), leurs succès ne seraient que des échecs.
DIAGNOSTIC DE CURABILITÉ
Le vrai médecin devra savoir que rien de ce qui est pathologique dans l’homme ne peut se décrire autrement que par des signes et par des symptômes. Il devra réfléchir sur ces signes avec honnêteté, patience et sagesse afin de trouver dans la matière médicale les symptômes les plus similaires.
S’il n’a que faire de l’intérêt des malades,
- s’il se soucie peu de découvrir et prendre leur symptômes par écrit,
- s’il est trop paresseux pour chercher les symptômes correspondants dans la Matière Médicale,
- s’il fait peu de cas des symptômes dont le patient lui parle ou qu’il lit dans la Matière Médicale,
Alors jamais il ne deviendra plus sage avec le temps ni ne prospérera. Il prendra au contraire le chemin de l’indolence et de la légèreté comme tous les hommes qui s’en remettent à des analyses de laboratoire pour établir une prescription. Au lieu de s’améliorer au cours de leur vie, ils régressera. Car celui qui dirige ses remèdes contre des bactéries, contre des vers, ou contre une tumeur est dans l’obscurité la plus complète, s’il ne peut percevoir qu’un homme en bonne santé a des tissus sains, un sang sain, et que par conséquent il ne peut présenter de terrain favorable au développement des bactéries, des vers ou des tumeurs. (§§ 7, 11, 12, 14, 70, 84, 89, 98, 107-109).
Nous avons deux alternatives pour établir une prescription : l’analyse de laboratoire ou L’ORGANON. Une catégorie de prescripteurs exige que l’on dépense des sommes énormes pour installer des laboratoires dans nos collèges, tout en n’accordant pas de crédit pour l’enseignement de la Matière Médicale. Pourtant, ceux qui pratiquent L’ORGANON sont dix fois plus compétents que ces prescripteurs qui agissent en fonction des résultats de laboratoire. Ceci indique clairement la tendance de la médecine traditionnelle et des homéopathes ignorants à s’engager dans la voie des dépenses inutiles. Laissons les en paix avec leurs énormes laboratoires mais exigeons d’obtenir notre droit légitime en Matière Médicale et philosophie thérapeutique. Nous n’avons encore jamais fait une telle requête auprès de la Commission d’Etat chargée de nos collèges, qui nous encourage cependant. Les besoins de notre Hering College sont entièrement différents de ceux de Rush ou du P&S. Notre savoir repose uniquement sur la philosophie et la matière médicale, alors que le leur est fondé sur le laboratoire. Chacun devrait avoir ses avantages cliniques en même quantité, au delà de leur différence de caractère et de qualité.
Contre toutes ces fantaisies s’érigent les solides doctrines de Hahnemann, basées sur les faits, et confirmées par cent ans d’expérience : Il est impossible de concevoir autre chose que les symptômes qui doivent être ôtés ou guéris afin de rétablir la santé. Revenons sur les cent dernières années d’expérience, qu’avons nous guéri : rien d’autre que des symptômes. Les résultats de la maladie disparaissent d’eux-mêmes quand les symptômes sont guéris. Quand les symptômes sont détruits par le remède homéopathique, le patient est guéri, et tous les symptômes qui représentaient le patient sont guéris.
Le médecin devra percevoir que les symptômes représentent une image complète de la maladie. Hahnemann appelle cas défectifs ceux dans lesquels on observe seulement quelques symptômes, et prévient alors qu’il ne faut pas attendre beaucoup d’un remède choisi sur des bases aussi maigres (§§ 172-6, 185). Le médecin homéopathe perçoit clairement le cas lorsqu’il est devant une image symptomatique clairement définie, et il est alors certain que le remède guérira (§§ 3, 104). Ce défaut d’éducation homéopathique se révèle souvent lorsque des médecins demandent un avis sur un cas en fonction de quelques symptômes cliniques, locaux, ou pathologiques, tout en omettant complètement les symptômes mentaux et généraux. Les médecins qui administrent un remède sur de tels cas défectifs ont un très fort pourcentage d’échec ; mais ils se pavanent souvent comme des paons lorsqu’ils ont de la chance de tomber sur le bon remède.
Il n’y a pas de maladie curable, pas de changements morbides cachés à l’intérieur du corps, que le médecins méthodique et consciencieux ne puisse reconnaître sinon par des symptômes objectifs et par des symptômes subjectifs (§ 14). Par conséquent, sont incurables les maladies qui ne se font pas connaître par des signes ou des symptômes. Les symptômes restent inconnus quand le médecin ne parvient pas à les trouver, quand ils sont absent, comme c’est le cas avec les tumeurs malignes, ou lorsque le patient les dissimule.
MATIÈRE MÉDICALE
Tous nos efforts pour rendre à la science médicale des bases tangibles se fondent actuellement sur de pures spéculations. Pourtant, qu’y a-t-il de plus certain et de plus concret que les déclarations du patient ou de l’expérimentateur recueillies sur le papier ? Ces faits parlent d’eux-mêmes et sont confirmés chaque jour par des milliers d’observations. Comment trouver d’arguments plus solides ?
Les rapports d’expérimentations confirmées et vérifiées s’imposent en tant que faits prouvés.
Les symptômes des malades sont autant de faits attestés.
La qualité de l’acte dépendra de la similitude dûment établie entre les faits expérimentaux et les symptômes du malade. Ceci est précisément une question d’ordre artistique, toutes les questions qualitatives le sont.
Il ne reste plus qu’à trouver un artiste-médecin pour résoudre cette question. Ce niveau de compréhension est-il trop élevé pour qu’on ne puisse espérer l’atteindre un jour ? Peut-il exister des hommes et des femmes qui entreprendraient des études dans un but moindre que celui-ci à l’échelles des ouvres humaines ?
Quels que soient les processus d’après lesquels un médicament guérit un malade, seuls les symptômes obtenus chez des expérimentateurs en bonne santé représentent ce que l’on peut connaître du principe actif d’une drogue donnée. Le laboratoire et le microscope échoueront toujours car ces instruments ne peuvent découvrir que les points ultimes, alors que le pouvoir curatif d’un médicament n’est qu’une tendance, les latins évoqueraient le conatus [le sens premier du mot signifie effort, entreprise, tentative ; par extension poussée instinctive, impulsion. E.B.] d’une substance invisible qui développe son activité selon les circonstances. On échouera irrévocablement tant que l’on se bornera à chercher en laboratoire les causes des maladies et leur traitement (§§ 24-27, 108).
L’étude de la très vaste matière médicale nécessite tellement de temps et de persévérance que les insouciants, les paresseux, et tous les hommes légers en général ne pourront atteindre une grande gloire professionnelle. Les idiots, les insouciants et les ” petits malins ” passent leur temps à rechercher une méthode matérielle qui deviendrait la base de leurs efforts. Ils régressent ainsi à un niveau purement mécanique dans leurs conceptions et dans leurs traitements. Cela va de soi puisque toutes les substances liquides recherchent d’elles mêmes le niveau le plus bas.
UTILISATION DES DYNAMISATIONS. APPLICATION DES REMÈDES À LA MALADIE.
Pour finir, le médecin doit savoir comment articuler tout cela pour parvenir à guérir ses patients (§§ 146 et suivants). Nos pathogénésies ont augmenté dans de telles proportions qu’il n’est plus possible pour un esprit humain de toutes les retenir, et encore n’avons nous pas fini de les multiplier grâce à notre connaissance de l’action des différentes dynamisations. Le médecin sachant utiliser les différentes dynamisations est infiniment avantagé comparé à celui qui utilise toujours la même, quelle qu’elle soit.
Après trente années d’observations scrupuleuses et de comparaisons avec les diverses dynamisations, il est possible de déterminer les règles suivantes :
Tout médecin devrait avoir à sa disposition 30, 200, M, XM, LM, CM, DM et MM, préparées soigneusement selon l’échelle centésimale [j'utilise le nom de Kent pour appeler ces dynamisations korsakoviennes montées à partir de la 30éme centésimale, leur action est plus forte, plus nette et plus durable qu'une K standard. E.B].
De la 30 à la XM : dynamisations utiles chez les femmes très sensibles et les enfants.
De la XM à MM : utiles pour les maladies chroniques ordinaires chez les personnes non hypersensibles.
Chez les femmes sensibles et les enfants, il est bon de donner la 30 ou la 200 d’abord, et de laisser la dose agir tant qu’elle procure une amélioration générale, après quoi la M peut être utilisée de la même façon. Quand l’amélioration avec la M cesse à son tour, il faudra employer la XM.
Chez les personnes présentant des troubles chroniques sans hypersensibilité, on peut utiliser d’emblée la XM et la conserver tant que l’amélioration dure ; puis la LM agira précisément de la même manière et devrai être utilisée tant que le patient progresse vers la santé ; pour finir, on utilisera de la même manière la CM, la DM, et la MM en succession.
En se servant de cette série de dynamisations dans un cas donné, le patient peut être maintenu sous l’influence du simillimum, ou d’un remède similaire, jusqu’à guérison. Si le remède est bien le simillimum, il agira efficacement sur une série de dynamisations. Si le remède n’est que partiellement similaire, il agira seulement avec une ou deux dynamisations ; puis les symptômes changeront demandant ainsi la prescription d’un nouveau remède.
Dans de nombreux cas chroniques il faudra utiliser une série de remèdes soigneusement choisis pour parvenir à une guérison si le remède n’est que partiellement similaire. L’idéal consiste à découvrir le remède suffisamment similaire pour qu’il tienne sur une série de dynamisations jusqu’à la plus élevée. Chaque fois le patient rapportera que la nouvelle dose a agi exactement comme la toute première qu’il a pris. Le patient est parfaitement capable de ressentir que le médicament agit correctement. Certaines personnes insinuent que la suggestion pourrait aider l’action du remède. Il est sage de savoir que la suggestion échoue quand on a prescrit le mauvais remède.